Insuffisances et urgencesen rapport avec la crise climatique. L’interpellation du pape François dans la Laudate Deum

L’Exhortation Apostolique Laudate Deum du Pape François venait d’être rendue publique mercredi 04 octobre 2023, en la fête liturgique de saint François d’Assise, le jour même de l’ouverture des travaux de la XVIe Assemblée Générale Ordinaire du Synode des évêques. Ce document était très attendu de tous parce qu’il avait été annoncé par le Saint Père lui-même lors de l’Audience accordée aux recteurs des universités latino-américaines le 21 septembre dernier.

Après Querida Amazonia (02.02.2020), Christus vivit (25.03.2019), Gaudete et exsultate (19.03.2018), Amoris laetitia (19.03.2016), Evangelii Gaudium (24.11.2013), Laudate Deum est la sixième Exhortation Apostolique du pontificat de François. Sa spécificité est qu’elle fait suite à l’Encyclique Laudato si’ du 24.05.2015. Comme il l’avait fait dans Querida Amazonia, le pape François s’adresse à un public au-delà du monde catholique: c’est à toutes les personnes de bonne volonté qu’il présente ses réflexions sur la crise climatique.

À travers les 73 numéros que comporte le Laudate Deum, on découvre le pape qui souligne les conséquences néfastes du changement climatique et démontre qu’elles constituent un «problème social global qui est intimement lié à la dignité de la vie humaine».

La préoccupation du Souverain Pontife est, huit ans après la publication de Laudato Si’, d’interpeller la conscience mondiale en lui signifiant qu’il y a des «insuffisances» par rapport à la crise climatique et de l’urgence à y trouver une/des solution(s).

1. Insuffisances dans les réactions face à la crise climatique

Pour le Pape, la communauté humaine n’assume pas avec assez de détermination son devoir de sauvegarde de la Maison commune. En effet, le changement climatique tend vers son «point de rupture», «point critique» (n° 16), c’est-à-dire le niveau qui préjudicie les vies humaines et ses effets sont déjà ressentis «dans les domaines de la santé, de l’emploi, de l’accès aux ressources, du logement, des migrations forcées, etc.» (n° 2).

À la base des réactions insuffisantes autour de la crise climatique, François mentionne quelques attitudes et idéologies. Parmi ces attitudes, il y a la tentative de se moquer du constat du réchauffement climatique (n° 6), de ridiculiser ceux qui en parlent (n° 7) ou d’en subtiliser la connaissance (n° 8) et d’en simplifier les causes (n° 9) et les solutions (n° 10, 34). En réalité, le Pape dénonce le négationnisme, la dissimulation et le relativisme qu’adopte la communauté internationale. Il prévient en même temps que ce n’est pas en adoptant ces attitudes que l’évidence du réchauffement climatique n’existe pas (n°5). Sur ce sujet, s’appuyant sur de données fiables et précises fournies par la science du climat et l’histoire de l’évolution industrielle, le pape souligne le niveau de responsabilité de l’action humaine. Il parle de l’origine «anthropique» du changement climatique qui ne peut plus faire l’objet du moindre doute (n° 11-14).

En outre, l’insuffisance de détermination dans les réactions de la communauté humaine sur la crise climatique est aussi due à certaines idéologies ou opinions que le pape qualifie de «méprisantes et de déraisonnables» (n° 14). Ces idéologies sont liées aux intérêts économiques pervertis (n° 13, 29-31), au «paradigme technocratique» «monstrueux», «aveuglant», «néfaste et destructeur», «isolant et trompeur» (n° 21, 24, 27, 66) et à la «méritocratie» (n° 32). Elles empêchent de mesurer combien sont déstabilisés les écosystèmes (n° 17) et de considérer «tout ce qui existe comme don à apprécier, à valoriser et à protéger et non à exploiter selon les caprices» de ceux qui ignorent que «tout est lié», que «personne ne se sauve tout seul» (n° 19-23, 27), qu’ils sont inclus dans la «Maison commune» (n° 25-26, 32), qu’il faut se poser la question du sens (n° 33). Penser que tout ne se résout qu’avec la puissance économique et technologique, c’est du «pragmatisme suicidaire», affirme le Pape.

Ces attitudes et idéologies ont puissamment prospéré, même dans l’esprit des membres de l’Église catholique (n° 14), à cause d’une communauté internationale très affaiblie par manque d’un multilatéralisme entre les états qui devraient agir de manière juste et équilibrée sur les défis réels de l’humanité (n° 34-36, 39). Pour démontrer cette faiblesse, le pape retrace l’histoire des conférences sur le climat depuis 1992 à nos jours, dont les résultats ne correspondent pas aux résolutions. En effet, les avancées qu’on peut dénombrer reflètent que les états ont été peu ambitieux dans l’exécution de ces résolutions; en même temps, les ratés observés sont spectaculaires et ne promettent que souffrances aux générations futures. Voilà pourquoi le pape invoque, comme il l’avait fait dans Laudato si’, n° 169, le reproche de manque de «conscience et de responsabilité» qui sera formulé à l’encontre des générations actuelles (n° 44-52). 

2. L’urgence d’action pour résoudre ces insuffisances

La crise climatique appelle à l’urgence d’une «responsabilité» dans la prise de conscience aussi bien de l’équilibre entre le «progrès» industriel et ses imprévus que de la qualité de nos empreintes dans l’histoire du lien entre les êtres vivants et l’environnement (n°18-19). Cette responsabilité suppose un engagement de tous pour soutenir les actions qui démontrent la capacité de l’homme d’aller au-delà de ses intérêts personnels en vue du bien commun. Cet engagement, selon François, constitue tout l’enjeu du COP 28 qui se tiendra à Dubaï (n° 54-60). Dans la perspective de cette conférence, le Saint-Père interpelle la conscience des détenteurs du pouvoir politique afin d’en démontrer la noblesse.

En plus de responsabilité, le pape souligne aussi l’urgence d’une révision lucide et honnête de l’usage de pouvoir de l’homme sur l’environnement. En effet cet «indispensable dépassement du paradigme technocratique» passe par «une éthique solide, une culture et une spiritualité». C’est là qu’apparait la nécessité de vérifier l’état des rapports entre nature et société (n° 24, 27-28; cf. Laudato si’ 105, 139).

Il y a également l’urgence d’une «reconfiguration du multilatéralisme». Cette reconfiguration exige d’aller d’un multilatéralisme exclusivement élitiste au multilatéralisme qui tienne compte des principes de subsidiarité, de la pression d’«en-bas», de primauté de la dignité de la personne humaine, de la réelle multipolarité du monde. Il s’agit du multilatéralisme intégrateur entendu comme cadre de conception des «règles globales et efficaces et de leur légitimation» (n° 37-43).

Enfin on note l’urgence d’un changement généralisé du mode de vie aux niveaux personnel, familial et communautaire. Il s’agit d’un appel que le Pape lance à tous les croyants de puiser dans leurs spiritualités des forces nécessaires pour protéger la Maison commune. Car, illuminés par la foi, ils entreprennent résolument un cheminement qui les conduit à se réconcilier avec la création, à proclamer la plénitude vers laquelle celle-ci est orientée et sa vocation de chanter Dieu qui est l’Amour infini (n° 60-72).

Concluons que, dans son Laudate Deum dont l’objectif est de «préciser et compléter» ce qu’il avait affirmé dans Laudato si’, le pape François attire l’attention des personnes de bonne volonté par rapport aux insuffisances dans les réactions face à la crise climatique et à l’urgence d’action qu’impose cette crise. Dans ce document, le Pape livre ses réflexions dont il puise l’argumentation dans les sources bibliques, spirituelles et magistérielles. 

C’esten méditantMt 6,28-29 et Lc 12,6 que le Pape souligne la notion de la «sensibilité», de la «tendresse» de Jésus à l’égard des «créatures de son Père», c’est-à-dire des êtres qui nous accompagnent sur notre route. Pour le pape, devant cette sensibilité/tendresse de Jésus, l’homme devrait tomber dans l’admiration. Ce devoir d’admiration, il l’exprime à travers cette question: Comment ne pas admirer cette tendresse de Jésus pour tous les êtres qui nous accompagnent sur notre route ? (n°1).

Cette admiration trouve une référence spirituelle dans la personne de saint François d’Assise qui, s’appuyant sur la proposition du Psaume, invitait les siens à «Louez Dieu pour toutes ses créatures» à travers sa vie, ses cantiques, ses gestes (n° 1).En d’autres termes, l’homme d’aujourd’hui est appelé à adopter le sentiment du Christ s’il veut prendre au sérieux son devoir de sauvegarde de la création. Car cela le rendra capable de comprendre que la création est l’œuvre de Dieu et qu’il ne doit pas prétendre prendre la place de Dieu (n° 73).

Le Pape s’appuie sur l’épiscopat des USA qui a démontré que le changement climatique non seulement concerne l’écologie, mais aussi touche les personnes dans leur vulnérabilité (Global Climate Change Background, 2019). Il se ressource aussi sur le Document final du Synode sur l’Amazonie qui indique que «Les attaques contre la nature ont des conséquences sur la vie des peuples» [Pan-amazonienne, Document final, octobre 2019, n. 10: AAS 111 (2019), p. 1744]. Enfin, le pape fait sienne l’affirmation du Symposium des Conférences Épiscopales d’Afrique et Madagascar (SCEAM) selon laquelle ce changement climatique qui «n’est plus une question secondaire ou idéologique, mais plutôt un drame qui nuit à tout le monde», relève d’un péché structurel (African Climate Dialogues Communiqué, Nairobi, 17 octobre 2022).

Avec Laudate Deum, le Pape rappelle une fois encore à la communauté humaine son devoir moral de protection de la Maison commune.

Prof. Joseph Mukondua Zung, CSsR

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